* Rêveurs et mangeurs de papier *

Quand les hommes ont conquis la mort...

Dans un monde futuriste où les hommes détiennent la Connaissance infinie, le progrès scientifique a mené à l'éradication de la mort naturelle. Malheureusement, les hommes doivent continuer à mourir. De ce terrible constat est né le glanage. Le glanage est une activité nécessaire qui consiste à ôter aléatoirement la vie de pauvres innocents pour réguler le nombre d'êtres humains sur la planète. Ce sont les Faucheurs qui se chargent de cette tâche, avec plus ou moins de passion et de sens moral. Citra et Rowan sont deux adolescents qui ne veulent en aucun cas devenir Faucheurs. Pourtant, ils débutent tous deux leur apprentissage avec Maître Faraday...

L'auteur nous décrit un semblant de monde parfait. Un monde parfait qui intrigue au plus haut point. Dirigée par une entité artificielle omnisciente appelée le Thunderhead, cette société a vaincu la maladie, la vieillesse et la mort haut la main. C'est la société de tous les possibles et l'immortalité y a trouvé sa place. Et pourtant, on commence à se sentir terriblement mal à l'aise au fil de la découverte. L'auteur contrôle cet univers à merveille et a choisi de soulever des questions fort intéressantes. Et pour y parvenir, il ne compte pas épargner ses personnages.

Bien malgré eux, Citra et Rowan commencent une formation peu banale. Ils vont apprendre à tuer en bonne et due forme, en toute légalité. J'ai trouvé ça dingue. Complètement dingue. Leur initiation n'est pas une partie de plaisir et pour rien au monde on aimerait être à leur place. C'est à travers leur formation et les explications de Maître Faraday que nous découvrons le mode de vie, les règles, principes et valeurs des Faucheurs. On prend connaissance de la place de cette communauté au sein de la société, on découvre l'art de tuer aussi. Des extraits du journal de Faucheurs célèbres, qui n'ont pas forcément la même vision de la profession, sont aussi intégrés au récit. Avec toutes ses informations, on tente de se faire un avis sur cette sombre communauté et on avance dans la lecture avec un sentiment étrange. Parce qu'il s'agit d'une communauté corrompue. Parce que le glanage, c'est moche.

On prend aussi le temps de connaître les deux héros de l'histoire. Citra et Rowan ont des personnalités complémentaires et j'ai rapidement accroché à ces deux apprentis faucheurs. Rowan est plutôt solitaire, Citra a plus d'assurance. Quand l'un fonce dans le tas, l'autre est plus patient, plus observateur. Sur d'autres points, ils se ressemblent aussi énormément. Ils n'aiment pas échouer. Ils sont malins. Et on les surprend par moment à avoir aussi l'esprit de compétition, malgré le contexte. Ce sont des ados sensibles et humains, imparfaits donc, et c'est peut-être pour cette raison que je les ai trouvé si attachants.

Si la première partie du roman pose doucement les bases de l'intrigue et nous présente un univers peu reluisant, la suite du récit m'a quand à elle laissée bouche bée. L'apprentissage de nos deux adolescents prend un tournant inattendu. La lecture s'emballe alors pour de bon et nous surprend à plusieurs reprises. Nos deux héros sont confrontés à des défis terribles, des dilemnes sordides et cruels. A aucun moment, je m'attendais à de tels rebondissements et inévitablement, Rowan et Citra en ressortent profondément changés. Le parcours de Rowan est celui qui m'a véritablement prise aux tripes. Si l'aventure de Citra n'est déjà pas facile, celle du jeune homme est inquiétante et on espère qu'il ne se perdra pas en cours de route...

Verdict : C'est un coup de coeur. Le tout premier de l'année. Cette lecture est terriblement originale et je me suis régalée. J'ai découvert un univers aussi fascinant que glaçant. J'ai lu un récit aussi intelligent que palpitant, et je ne peux que vous le conseiller.

« Un monde nous sépare de nos ancêtres. Nous ne sommes plus les mêmes êtres que nous fûmes autrefois.

Du coup, si nous ne sommes plus humains, que sommes-nous ? »

« Parfois, quand le fardeau de mon travail devient trop accablant, je me mets à regretter tout ce que nous avons perdu lorsque nous avons conquis la mort. Je songe à la religion, à la manière dont, une fois que nous sommes devenus nos propres sauveurs, nos propres dieux, la foi a cessé d’être pertinente. Comment était-ce de croire en quelque chose qui nous transcende ? d’accepter l’imperfection et de tendre vers un idéal de tout ce que nous ne pourrions jamais être ? Cela devait être rassurant. Et effrayant. »